Où s’est enfui le calme?

C’est fou de voir à quelle vitesse l’humain apprend, puis désapprend aussitôt.

Il y a deux ans (déjà!!), je prêchais sans vergogne un nouveau sermon: rien ne vaut le calme, la lenteur, l’ascétisme. Revenue d’une retraite en solitaire dans une abbaye Bretonne, j’avais appris à affronter le vide, à y plonger même, avec ravissement.

Le covid s’était abattu sur le monde, on ne savait pas encore comment on allait s’en sortir, alors on apprenait à rester chez soi. On découvrait que le télétravail était possible, puis on s’autorisait doucement à décliner certaines choses: invitations, sorties, réunions familiales, soirées… on a appris à dire « là c’est trop. » C’était grisant, cette liberté de dire non.

On songeait beaucoup au monde d’après aussi, on espérait qu’il serait bâti sur de nouvelles fondations, lenteur-conscience écologique-santé mentale, au hasard. Et moi je réalisais que je n’avais besoin de pas grand chose après tout, que travailler moins, ça ne m’avait pas si mal réussi, et qu’il fallait vraiment aller vers ce qu’on aime, sans s’alourdir de stimulations inutiles.

Qu’est il advenu de cette sagesse?

Cette année 2022, j’ai pour ainsi dire replongé dans les affres de la rentabilité. Les écrans ont refait partie de ma vie (mais pas Instagram, que je continue d’aborder avec rejet), j’ai avalé parfois plusieurs heures de séries ou de vidéos Youtube, et surtout, j’ai travaillé, travaillé, travaillé. Envolés les mantras de mesure et de sélectivité, de raison. En cinq mois, j’ai sorti deux livres: Ressac, le récit de cette fameuse retraite qui m’avait tant appris sur « le vide », puis Je serai le feu, une anthologie de 50 poétesses sur laquelle j’ai travaillé près de quatre ans.

C’est simple, de juin 2021 à juin 2022, j’ai fait l’exact inverse de ce que l’expérience du covid et ma retraite m’avaient enseigné. J’ai enchaîné des dizaines et des dizaines de dates de dédicaces, de conférences, j’ai rencontré des milliers de personnes, échangé, souri, accueilli les larmes aussi, les confidences, j’ai vu la Belgique, le Nord, Paris, le sud, le sud est, le sud ouest, la Suisse, j’ai enchaîné les trains, les routes, les festivals… j’ai même terminé sur scène à Montreuil pour la clôture du festival Hors Limite, entourée de quatre femmes artistes incroyables (dont l’une de mes écrivaines préférées, Sophie Daull), pour un spectacle de théatre-musique-lecture dessinée autour de Je serai le feu, devant plus de 300 personnes.

Envolés le calme, la mesure, le vide.

J’ai même parfois dit oui à contre coeur j’avoue, ne rêvant que de passer mes week ends avec mon compagnon à errer en legging dans des forêts de chêne ou grimper les plateaux du Vercors.

Et pourtant.. c’était magique. Magique d’avoir des espaces où parler de ce que je crée, où rencontrer mes lecteurices en chair et en os, rire avec elleux, m’épandre, recueillir leur amour et leur soutien. Revoir mes ami.e.s aussi, partout, à Paris, Lyon, Londres, retisser du lien, créer de nouvelles amitiés, errer, consommer des musées, acheter des robes en satin dans des fripes hors de prix de Montmartre.

Forcément, je suis bien embêtée.

Que faire de cette ambivalence? Vers quoi tendre, l’ascétisme, ou la richesse des liens sociaux? Comment résister au piège de l’abondance? Comment s’en préserver? Parce que, le problème, c’est que j’ai terminé cette année sur les rotules, avec pour seul et unique but d’être en VACANCES. Moi qui pensais avoir les clefs de la sérénité inébranlable…

J’imagine que c’est comme une valse. Un deux trois, un deux trois, trouver le rythme et glisser, tournoyer, enchaîner les zones creuses et celles palpitantes. Pour créer, il faut du vide. Mais il faut bien revenir au monde parfois, pour s’en saouler avant de l’écrire.

Je n’ai pas encore trouvé la balance.

Je virevolte d’un extrême à l’autre, gauche, inconfortable. Il y a d’un côté la moi nouvelle, celle qui vit en Teva de rando et short taille haute tout l’été, qui n’attend qu’un instant de calme pour remplir sa grille de mots fléchés ou guetter les chevreuils en lisière de bois, et l’autre, celle qui a passé des mois à arpenter les villes en souliers vernis, et à enchaîner des mois de promotion dans des endroits toujours plus impressionnants (coucou la lecture de mes poèmes par Anna Mouglialis à la maison de la poésie…).

Y’a comme une dissonance.

Force est de constater que mes récents voeux de ralentissement ont été balayés par cette année feux d’artifice. J’ai plongé tête la première dans tout ce que je m’étais juré de mettre à distance: le stress, la rentabilité, les commandes, la rapidité.

Alors, quand j’ai relu hier mes anciens articles, et que j’ai mesuré cet écart indécent, entre mon discours de 2020 et la réalité de mon année 2022, j’ai eu envie d’y apporter un petit update.

Maintenant que c’est dit, je peux m’en retourner à mes grilles de mots fléchés trop difficiles, et mes croquis de passereaux.

J’ai appris en jouant à TTMC, mon nouveau jeu favoris (avec Wordle), qu’il existe le pendant de l’hibernation: l’estivation.

« Phénomène pendant lequel les animaux tombent en léthargie pendant l’été ».

Peut être est-ce ça, la clef: accueillir nos fatigues saisonnières avec panache, s’en servir pour souffler sans vergogne, et accueillir l’ennui, le vide. Avant que le train effréné des rentrées ne nous embarque à nouveau pour un prochain tour…

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Published on August 06, 2022 06:26
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