De la résilience à la résistance

Qu’est-ce qui définit la résilience ? La résistance au choc. Le fait de ne pas laisser son bourreau vous définir à vie. Tous les êtres que nous avons réunis pour ce numéro de fêtes ont en commun d’incarner des modèles alternatifs à la mode victimaire. Chacun prône, à sa façon, de résister à l’injuste, à l’oppression ou à l’agression, par l’art, l’alerte ou l’éducation. 

Qu’entend-on par « victimaire » ? Le fait de prendre ses cicatrices pour des plaies béantes. Le fait de se plaindre exagérément, sans discernement, comme un moyen d’exister. Et non le fait de se dire victime, d’écouter ou de soutenir des victimes. C’est le meilleur de notre temps : une sensibilité aux plus fragiles, aux malmenés, aux écorchés, aux violentés, aux êtres violés. Pendant des siècles, nous avons brandi l’honneur et la réputation comme excuses à la surdité et à la brutalité. Des générations de violences, de silences, de failles incestueuses ont creusé nos âmes. Ces abîmes mènent droit à la destruction de l’autre ou de soi. Il est urgent de se parler, de percer ces secrets de famille, de critiquer les films sexualisant des femmes-enfants, de dénoncer les abus de pouvoir, trop longtemps permis au nom du génie, du sacré ou des liens du sang. 

Comme il est temps de dire, sept ans après MeToo, qu’on ne passera pas de la domination à l’égalité par la seule victimisation ou en accusant à tort. Malgré les cris d’orfraie des mis en cause dans mon livre Le Vertige MeToo, cette conversation devient enfin possible. C’est la beauté d’un pays qui sait encore se disputer et penser ce qui l’émeut. Cette conversation, plus libre, n’enlève rien à la sensibilité. Elle n’empêche ni l’admiration ni le soutien à Gisèle ­Pelicot, digne et debout jusqu’au bout. Une mise en lumière est toujours une mise en danger. Mais en refusant le huis clos, avec cran, ces longues semaines de procès ont permis de lever un voile de plus sur la violence du viol. 

Face à cette invasion suprême, l’enjeu prioritaire est toujours de réparer l’image de soi de la victime, tout en désamorçant le risque de récidive du bourreau. La justice n’est pas toujours assez armée, ni assez dotée, pour enquêter et condamner ceux qui doivent l’être. Mais elle passe parfois, comme dans l’affaire Pelicot ou Ruggia. Adèle Haenel a donc eu raison, finalement, de lui faire confiance. Ce procès a démontré ce qu’elle dénonçait : un « pygmalion » qui détourne le cinéma pour piéger une enfant. On peut être en désaccord avec certains de ses récents réquisitoires, contre la justice, traitant tout un gouvernement de « violeurs », et soutenir de toute son âme sa plainte contre Ruggia. On peut écouter, entendre, partager son émotion, et ne pas valider tous ses anathèmes, interroger le rôle des parents dans ces mises en danger, et ­refuser que d’autres hommes payent pour ceux qui ont commis ces abus. 

On peut aussi mesurer le chemin qu’il reste à parcourir et savourer certaines victoires. Pour cela, il suffit de regarder autour de nous : le calvaire des victimes israéliennes, palestiniennes, ukrainiennes ou afghanes. Ou le courage de nos sœurs iraniennes et kurdes, qui combattent le patriarcat religieux et ses monstres. Le monde est empli d’oppresseurs. Mais si chaque victime se transforme en ­résistante, leur défaite est assurée. 

Caroline Fourest, Franc-Tireur, 24/12/24

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Published on December 25, 2024 04:57
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