Caroline Fourest's Blog
March 12, 2025
Nos luttes, vos brutes
Les 8 mars se succèdent et se ressemblent. Comme il s’agit des droits des femmes et non de «la journée de LA femme», que LA femme n’existe pas et qu’elles ne pensent pas toutes pareil, il est normal d’y retrouver tous les clivages de la société. Ainsi, cette année encore, on a vu un féminisme intersectionnel s’en prendre au féminisme universaliste (Nous vivrons et Femme, Vie, Liberté*) en feignant de les confondre avec des identitaires (Némésis), au risque de doper la revanche masculiniste (Reconquête!).
Le patriarcat n’a pas fini d’être déboulonné qu’il reprend du poil de la bête. Ce retour de bâton masculiniste, on le doit beaucoup au triomphe de l’âge bête identitaire et au repoussoir woke. Une dérive qui a dévoré l’antiracisme avant de contaminer le féminisme au nom de l’intersectionnalité. Au lieu de croiser les facteurs de discrimination et de faire converger les luttes, elle l’a divisé, entre «blanches» et «racisées», avant de soumettre l’antisexisme aux priorités de l’antiracisme identitaire. Ajoutez qu’entre la fin des idéologies et le relâchement des intelligences, ces cabines téléphoniques sont très faciles à infiltrer, par LFI ou Urgence Palestine… et vous obtenez ces 8 mars explosifs. Des marches où des hommes cagoulés et en keffieh, antifas ou fréristes, menacent des féministes juives et iraniennes, et leur interdisent d’avancer, comme si elles étaient d’extrême droite. Alors qu’elles ne sont pas venues ensemble et marchent à l’opposé !
Les groupes féministes de Femme, Vie, Liberté et de Nous vivrons se sont créés pour refuser l’invisibilisation des viols du 7 Octobre, soutenir la révolte des Iraniennes, et réclamer un féminisme qui combatte tous les sexistes, quels que soient leur drapeau, leur religion ou leur origine. C’est une démarche universaliste. Les militantes de Némésis ont fondé leur association pour focaliser sur les viols commis par des immigrés, et mettre la cause des femmes au service d’un projet politique xénophobe. C’est une démarche identitaire. Des intersectionnels feignent de les confondre pour pouvoir exclure les universalistes. Mais comme rien n’est simple, ceux qui ont cru voler au secours de Nous vivrons en défendant d’une même voix Némésis sont tombés dans ce piège : valider un amalgame qui arrange aussi l’extrême droite.
Reprenons nos esprits. S’il est infect que des machos antifas et fréristes interdisent à des féministes universalistes de marcher le 8 mars, que viennent faire les militantes zemmouriennes et muskiennes dans une marche féministe ? Celles qui s’y pointent pour manifester leur xénophobie sont aussi déplacées que ceux qui défilent pour défouler leur antisémitisme. Il est temps de retrouver cette boussole, celle des idées, pour sortir du piège des identités. C’est le sens d’un manifeste universaliste, « Un autre féminisme est possible », que nous avons signé avec quinze féministes issues de trois générations**. Ce chemin existe. Et permet de déjouer tous les pièges.
* Femme Azadi. ** À retrouver sur le site de nos confrères de “La Tribune Dimanche”.
Caroline Fourest, Franc tireur n°174, 12 mars 2025.

March 10, 2025
Un autre féminisme est possible
Agnès Jaoui, actrice et réalisatrice, Caroline Fourest, directrice de « Franc-Tireur », Delphine Horvilleur, rabbine, et douze autres féministes, défendent un féminisme universaliste, laïque et attaché à l’égalité, face aux dérives identitaires et sectaires. Elles appellent à combattre toutes les formes d’oppression sexiste sans relativisme ni instrumentalisation politique.
Nous sommes des féministes de plusieurs générations. Certaines d’entre nous ont milité au MLF, pour le droit à l’avortement, la loi sur le viol, le droit de disposer de nos corps ou de ne pas porter le voile. D’autres, bien avant MeToo, ont dénoncé les prédateurs, se sont battues pour rallonger le délai de prescription des crimes sexuels ou ont obtenu que le consentement ne soit pas reconnu avant 15 ans.
Pour avoir osé se dire « féministes » quand ce n’était pas encore à la mode, certaines ont enduré les railleries, pris des coups et, parfois, risqué leur vie. Nous sommes fières d’être féministes et, plus encore, de voir cette cause gagner les nouvelles générations. Mais nous voyons aussi ce combat être instrumentalisé, de façon caricaturale et sectaire.
Au nom de l’indigénisme et d’une prétendue intersectionnalité, ou par pur esprit partisan, un féminisme totalitaire tend à s’imposer et à parler au nom de toutes. Nous voulons rappeler ici qu’il existe toujours cet autre féminisme de justice et d’égalité, laïque et universaliste.
La laïcité protège l’égalité et donc la liberté des femmes. C’est pourquoi nous combattons tous les intégrismes, car tous révèlent, d’où qu’ils soient, la forme la plus pathologique du patriarcat.
Nous refusons tous les relativismes culturels, postcoloniaux ou identitaires, qui prétendent soumettre le féminisme à d’autres priorités et nous interdire de dénoncer un agresseur s’il est « racisé ». Comme nous refusons ces idéologies qui, à l’inverse, ne s’inquiètent du violeur que si celui-ci est étranger ou perçu comme tel.
Tout oppresseur doit être condamné : le taliban qui emmure vivantes les Afghanes, le mollah ou le pasdaran qui persécute les Iraniennes, le soldat russe qui viole des Ukrainiennes, le djihadiste du Hamas qui torture et massacre des Israéliennes et asservit les Palestiniennes, l’Américain qui criminalise le droit à l’avortement, le violeur bien de chez nous…
Nous condamnons toutes les atteintes sexistes et les violences sexuelles, sans les confondre et sans renoncer à la proportionnalité des peines. Nous soutenons toutes les victimes sans pour cela renoncer à la présomption d’innocence et à l’examen des faits par la justice. Nous appelons à la doter de moyens pour qu’elle puisse être à la hauteur des drames qui lui sont exposés, les traiter avec écoute, ardeur, célérité et plus d’efficacité.
De toutes leurs forces, les femmes doivent favoriser la libération de la parole sans refuser l’État de droit ni renoncer au doute avant de décréter une condamnation publique sans appel. Le féminisme est un contre-pouvoir, pas un instrument d’oppression.
SignatairesCaroline Fourest (directrice de Franc-Tireur et réalisatrice)Agnès Jaoui (actrice et réalisatrice)Delphine Horvilleur (rabbine)Tristane Banon (éditorialiste)Frédérique Bredin (ancienne ministre)Sophie Chauveau (autrice)Catherine Deudon (photographe)Elise Goldfarb (entrepreneuse)Mona Jafarian (consultante et autrice)Liliane Kandel (sociologue et essayiste)Mina Kavani (actrice)Laura Lesueur (conférencière)Ariane Mnouchkine (metteuse en scène)Tania de Montaigne (autrice)Yannick Ripa (historienne)Publié dans La Tribune Dimanche du 8 mars 2025

March 6, 2025
L’affaire Rousseau
Il n’y a pas que dans le Bureau ovale qu’on a du mal à distinguer un agresseur d’un agressé… Loin des rives affligeantes de la masculinité toxique, le féminin vengeur se perd parfois aussi dans les brumes de la post-vérité. L’affaire Bayou nous en offre un exemple. Il est de ceux que j’évoquais dans Le Vertige MeToo pour décrire la manipulation de l’émotion et comment une accusation publique excessive peut conduire à plus de violence qu’elle n’en dénonce. Car la victime dans cette affaire, c’est l’accusé. Un homme politique broyé par l’idéologie du « je te crois », qu’il a lui-même soutenue et dont il a mesuré l’injustice lorsque d’anciennes petites amies ont voulu lui faire payer ses tromperies et ses mensonges en les présentant comme une affaire MeToo. Un hashtag destiné à libérer la parole des victimes d’agressions sexuelles dont on use et abuse, qu’on salit et discrédite lorsqu’on s’en sert pour régler des comptes politiques ou privés.
Dans le cas Bayou, il suffisait de lire les témoignages de ses accusatrices dans le média écologiste Reporterre pour comprendre, même en les croyant sur parole, que ces reproches ne relevaient pas du pénal, et que leur mal-être profond ne pouvait avoir pour seule cause cet homme et cette relation. Ces « révélations » n’avaient donc rien à faire dans la presse ou dans un tribunal. La justice, la vraie, a tranché sans l’ombre d’un doute : « absence d’infraction ». C’est le tribunal politique qui refuse de désarmer. La procureure Rousseau maintient son verdict. Elle considère toujours Bayou comme « présumé innocent », lui reproche d’avoir séduit des militantes en « situation de pouvoir » et de les avoir « humiliées ». Au nom d’un principe de précaution et de « valeurs » plus puritaines que féministes, elle exige une clarification « politique » de son parti… L’interdiction de relations amoureuses, même consenties, si elles déçoivent ?
Après la curée, la curie… Le vertige, on vous dit. Ayant pris goût au pouvoir d’accuser, Sandrine Rousseau prolonge en prime et à nos frais sa présidence de la commission parlementaire contre les violences sexuelles enquêtant sur le cinéma, les médias et le milieu du spectacle vivant. Sollicitée pour être auditionnée, j’ai préféré décliner. Je ne vois pas l’intérêt de focaliser sur les MeToo les plus médiatisés, ne touchant que des métiers privilégiés et surexposés, frappés par la culture de l’annulation. Dans ces mondes, il faudrait plutôt retrouver le sens de la mesure et de la deuxième chance… Même si cette commission comporte des membres sincères et dévoués avec qui il faudrait en parler, je ne crois pas à la possibilité de discuter sereinement et subtilement avec la procureure Rousseau. En revanche, il serait fort précieux de prévoir une commission parlementaire sur MeToo politique et son instrumentalisation. Sandrine Rousseau pourrait y être doublement auditionnée. Comme victime et bourreau.
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°173, 5 mars 2025
March 2, 2025
Tout sauf Boyard
Jean-Luc Mélenchon voulait en faire une ville-test. Villeneuve-Saint-Georges devait tomber comme un fruit mûr, démontrer sa capacité à capter des communes de plus de 10 000 habitants au nez – mais surtout à la barbe – de ses alliés. Il réclamait un « signal fort ». Pour marquer le coup, et poursuivre sa revanche, le « líder maximo » avait envoyé l’un de ses plus jeunes padawans séduire les jeunes des quartiers : le député TikTok Louis Boyard, ancien dealer et ex-chroniqueur de Touche pas à mon poste ! Idéal à ses yeux pour draguer la banlieue, surtout si vous le flanquez d’une colistière en keffieh, de quelques voyous de quartier et d’un numéro sept ouvertement pro-Hamas. Il ne restait plus qu’à laisser le Parti socialiste mollement protester, puis se retirer tout en appelant à voter contre la droite, pour l’accuser d’avoir brisé l’union de la gauche et l’emporter quand même.
Un plan fumeux, comme les aime Jean-Luc Mélenchon, plié comme une feuille à rouler. Surtout qu’en face la droite partait divisée. C’est pourtant une candidate LR qui l’a emporté, et pas d’un cheveu : 10 points d’écart. Car au second tour, contrairement au premier, des habitants de tous âges et de toutes sensibilités se sont déplacés en masse pour voter contre le candidat LFI. Pas si Faure, ce Boyard.
Bien sûr, staliniens jusqu’au bout, les Insoumis nous expliquent que ce n’est pas leur faute, mais celle de leurs petits camarades du NFP. En vérité, l’ancien député insoumis Alexis Corbière l’a cruellement souligné, « c’était imperdable ». Et pourtant, ce pari, La France insoumise l’a perdu quand même : en raison de la détestation croissante qui touche ce parti. D’un TSB – Tout sauf Boyard – qui annonce un TSL : Tout sauf LFI. C’est la rançon de la stratégie du chaos de Jean-Luc Mélenchon : le déluge après moi… Seul face à Marine Le Pen, fantasmant de l’emporter grâce au front républicain. Rien ne va dans ce calcul toxique.
D’abord, Marine Le Pen n’est plus sûre de figurer sur cette affiche, mais surtout le front républicain est mort en cas de duel RN-LFI. La France insoumise l’a tué, à coups de pierres, d’intifada des quartiers, de candidats pro-Hamas et de députés insensés. Ce barrage, elle l’a détruit en se proclamant victorieuse au soir des législatives, en exigeant de nommer sa candidate et d’appliquer son programme, rien que son programme, mais plus encore en nous obligeant à choisir entre des candidats d’extrême droite racistes et des candidats d’extrême gauche antisémites. À Franc-Tireur, journal qui lutte contre l’extrémisme, nous dénonçons ce piège depuis le début. Aux dernières législatives, nous avons porté haut le « Tout sauf le RN », en couverture, mais avec cet astérisque : « En cas de duel avec un LFI pro-Hamas, ça sera sans nous. » C’est le nouveau barrage républicain. Et pour de nombreux Français, à force d’outrances d’un côté et de stratégie de la cravate de l’autre, il risque de se résumer à « Tout sauf LFI ».
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°169, 5 février 2025
February 25, 2025
L’Occident suicidaire
L’Occident peut-il s’autodétruire ? Comme en rêvent les islamistes, l’Iran des mollahs, la Russie de Poutine, et tous ses ennemis déclarés. Le plus fou est d’assister à cette mise à mort depuis la Maison-Blanche, de voir un président américain lui porter le coup de grâce. Le plus étonnant est d’entendre tous les déclinistes se joindre au supplice : aveuglés et hypnotisés par Donald Trump. Ce vengeur trompeur.
L’homme paraît d’un bloc et sans filtre. L’animal est double, voire agent double. D’un côté, il sait taper du poing sur la table, crier des vérités sur le Hamas et leur sadisme, regonfler les plumes de l’Occident en bombant le torse comme les dictateurs-prédateurs… De l’autre, il peut leur céder comme une carpette, fondre pour Kim Jong-un, reprendre les éléments de langage du Kremlin, accuser l’Ukraine d’avoir « déclenché cette guerre », menacer de ne plus lui livrer d’armes et même envisager d’aller à Moscou assister à la parade militaire de Poutine ! Ce qui semble confirmer toutes nos craintes et l’enquête d’Antoine Vitkine parue dans nos pages avant l’élection américaine. Elle rappelle que Trump a été « tamponné » par les services russes dès le milieu des années 1980, que la mafia russe lui a évité la faillite, notamment en achetant les appartements de sa Trump Tower, qu’il est revenu d’un voyage à Moscou (où sa vie nocturne a très probablement été filmée) avec ce que les services russes appellent un kompromat, un dossier compromettant, ce que confirment plusieurs anciens cadres du KGB. Depuis ce voyage en Russie, Trump s’est soudainement intéressé à la politique et à critiquer l’Otan. Une obsession qui perdure. L’actuel président ne songe qu’à racketter l’Ukraine et les alliés de l’Amérique, sous peine de ne plus les défendre. Ce qui revient à transformer l’alliance du monde libre en mafia. Un langage que comprennent Trump et Poutine. Ces deux hommes sont alignés. Un jour prochain, l’un vexera l’autre et le vent tournera, comme entre Musk et Trump. Mais pour l’instant le « monde libre » agonise à cause de ce duo infernal. L’Ukraine peut en mourir. Et l’Europe suivra. Ce risque est réel. N’en déplaise aux supplétifs de Moscou, et maintenant du trumpisme, qu’on entend ricaner dès qu’un Européen s’inquiète. Les mêmes, de Mélenchon à l’extrême droite, ne pensaient pas que Poutine envahirait l’Ukraine…
Sur CNews, en prime, on tente de faire passer la France pour une dictature pire que la Hongrie (où l’État contrôle les médias) ou que la Russie (où l’on tue des journalistes), juste parce qu’un animateur bientôt recyclé a si souvent violé la règle qui le lie à l’Arcom que cette autorité indépendante a fini par réagir. Dans ce Far West muskien, qui fait visiblement fantasmer la droite populiste et la rend munichoise, il n’existe qu’une bonne nouvelle… L’échec à un cheveu de l’AfD, et l’espoir qu’un nouveau couple franco-allemand pourra relancer l’Europe, y compris militaire. Pour enfin résister.
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°172, 26 février 2025

February 18, 2025
Munich 2.0
C’est un tournant. Un frisson glacé a parcouru l’échine des participants à la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité. J. D. Vance, le nouveau vice-président américain, ne s’y est rendu que pour sermonner les Européens : « La menace qui m’inquiète le plus pour l’Europe n’est pas la Russie, ni la Chine, ni aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace qui vient de l’intérieur. Le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs. » De quelle « menace » parle-t-il ? De la régulation des réseaux sociaux !
L’ambassadeur de Musk a passé l’essentiel de son discours sur la sécurité mondiale à s’en alarmer. Ce n’est pas si nouveau. Au nom du premier amendement, les États-Unis, qui n’ont jamais su faire la différence entre incitation à la haine et liberté d’expression, nous ont maintes fois épinglés pour nos lois sanctionnant le négationnisme ou Dieudonné, tout en menant la guerre à notre liberté de blasphémer ou d’offenser. Les voilà passés du wokisme au muskisme, en réaction. Leur impérialisme culturel continue, mais il a changé de priorités, à 180 degrés. Les régulations qui choquent Vance ? La « Commission européenne », qui sanctionne en cas de « contenu haineux », la condamnation d’« un militant chrétien pour avoir participé à l’autodafé d’un Coran en Suède, et d’un autre en Angleterre pour avoir prié sur le chemin d’un centre IVG en violation de la loi qui protège leur périmètre »… Des exemples choisis pour feindre de défendre la liberté de tout dire. Vance omet de préciser que Musk tripatouille l’algorithme de X pour s’assurer que certaines opinions sont survalorisées et d’autres, qui lui déplaisent, confinées.
La « leçon » est encore plus inquiétante en matière de sécurité. Si le vice-président américain n’a pas annoncé la fin de l’Otan, il a bien annoncé le début du désengagement des États-Unis de l’Alliance atlantique, l’une des obsessions de Trump depuis son voyage à Moscou en 1987. Son vice-président a beau parler de lui comme d’« un nouveau shérif » : sous Trump, l’Amérique renonce à être le gendarme du monde. Ce qui réjouit les tyrans. Douguine, le cerveau malade de Poutine, imagine déjà partager les restes de l’Europe entre une « Grande Amérique » et une « Grande Russie », prédit même « une alliance entre la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump » (la seconde imitant la première, selon lui) et la fin de l’Occident.
C’est bien ce qu’annonce ce Munich 2.0. Lorsqu’un vice-président américain regrette que les élections en Roumanie soient annulées à cause des ingérences russes… au lieu de regretter ces ingérences ! Juste après son discours, il est allé soutenir Alice Weidel, la cheffe de l’AfD, un parti nostalgique du nazisme et prorusse (voir notre enquête). Un acte d’une déloyauté et d’une ingérence inouïes de la part d’un allié. Mais il faut s’y résoudre : les États-Unis ne sont plus nos alliés, juste un prédateur de plus. Dans ce règne animal, celui du « chacun pour soi », l’Europe fait figure de proie. Soit elle montre les crocs, et elle tiendra. Soit elle se divise, et elle finira dépecée. Sursis ou sursaut ?
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°171, 19 février 2024
January 28, 2025
Mal nommer, ce poison
L’avertissement camusien n’a jamais été si brûlant. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » S’agissant du conflit Hamas-Israël, chaque mot prononcé de travers creuse ce malheur, et même des tombes. C’est le cas lorsqu’on parle d’« otages palestiniens » à propos de prisonniers condamnés pour meurtre et terrorisme. Et la faute lourde du journaliste de France Info d’avoir titré « 200 otages palestiniens retrouvent la liberté ». France Télévisions a eu raison de vite réagir et de sanctionner son rédacteur. Car cette équivalence est infâme.
Les otages israéliens ont été enlevés dans leur sommeil, dans leur maison, à un festival de musique… Même les quatre jeunes soldates kidnappées sur une base n’étaient que des « observatrices », sans armes et endormies, dans un pays où l’armée est obligatoire. Elles ont été enlevées comme Israéliennes et torturées, pour certaines violées, comme femmes et Juives. En face, contrairement aux mensonges empoisonnés qui circulent, ce sont principalement des hommes et quelques femmes, de rares mineurs, condamnés pour avoir commandité ou commis des attentats au couteau ou à la voiture-bélier. Ce ne sont pas des « otages » ni des « prisonniers politiques ». Le préciser est un devoir journalistique. Ce qui différencie l’intellectuel du robot ou du mouton. N’en déplaise à Danièle Obono, députée LFI, qui a plaidé pour qu’on écoute plutôt ChatGPT que les « grands » médias pour savoir s’il fallait qualifier ces terroristes d’« otages » ou de « prisonniers ». Elle y voit « une leçon de journalisme ». Merci pour la leçon, madame la députée, mais nous préférons continuer à faire fonctionner notre cerveau. Même si cela doit nous valoir le tir groupé de militants excités.
À Franc-Tireur, nous n’avons pas attendu le 7 octobre pour critiquer Benyamin Nétanyahou et ses ministres d’extrême droite. Nous avons dénoncé l’enfer de Gaza. Mais nous croyons au devoir de raisonner malgré l’émotion et de choisir ses mots pour nommer les maux. Un sacerdoce où nous avons perdu un des nôtres : Jean-François Kahn. L’un des rares journalistes à avoir soutenu les démocrates laïques algériens durant les années noires, à rebours d’une certaine presse de gauche, qui leur préférait les islamistes.
Bien qu’engagé en politique comme citoyen, il refusait toujours les assignations comme éditorialiste. Il avait fondé Marianne et suggéré à CMI de lancer un nouvel hebdo, qui nous a laissé carte blanche pour l’imaginer : Franc-Tireur. Nos dernières conversations portaient beaucoup sur la presse. Il était mortifié par la « rude inflexion » de son bébé Marianne, où il n’était « plus en situation de [s]’exprimer ». Mais aussi de voir que certaines de ses « libres opinions » ne passaient plus sous les fourches caudines du Monde. Dans Comment on en est arrivé là, il regrettait « l’emprise des radicalités de posture ». Nous sommes fiers de l’avoir publié. Il manquera à notre époque. Nous lui dédions ce numéro.
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°168, 29 janvier 2025
January 21, 2025
La force des clowns
Il existe toujours une part d’insensé et de rationnel dans le succès des grands démagogues. Prenez le président argentin, Javier Milei, ultralibéral et présenté comme le « Trump de la pampa ». Le type est fou à lier. Il parle à ses chiens morts, qu’il a clonés, via des médiums. Il hurle, il ment, triche et insulte. Mais « rien ne [lui] fait peur ». Il a promis de passer l’État argentin et ses budgets à la « tronçonneuse », de juguler l’inflation galopante en dévaluant le peso de moitié. Et il l’a fait…
Après un an de pouvoir et des coupes monstrueuses, les comptes de l’Argentine sont pour la première fois au vert et l’inflation maladive commence à décélérer. Se moquant des manifestations et des « larmes de gauchistes », il a gouverné par décret pour imposer ce traitement choc. Peu auraient osé. Et pour cause… Trente-trois mille fonctionnaires ont perdu leur emploi, les services publics et la protection sociale ont fondu, la moitié des Argentins sont passés sous le seuil de pauvreté et certains finiront à la rue. Mais cette purge, cette saignée, des Argentins l’ont voulue. Pour sortir du marasme où des générations de politiques les avaient englués. Seul un fou pouvait le proposer et ils l’ont choisi, en toute conscience. Pour sortir d’un cycle et en commencer un autre. Parce qu’il faut parfois un excès pour en corriger un autre. La même explication vaut pour d’autres lunatiques ayant pris le pouvoir par les urnes.
Prenez Trump. « L’homme orange », condamné pour agression sexuelle. Mégalomaniaque, il répète en boucle qu’il est le plus beau, le plus fort, le plus riche. Sa fortune, il ne l’a pas méritée, il l’a héritée. Quand il n’a pas triché ou corrompu pour ne pas respecter la loi. Sa place n’est pas à la Maison-Blanche mais en prison. Pour avoir incité une foule de Maga-gagas à marcher sur le Capitole, tuant cinq personnes – dont un policier – au passage. Et pourtant, il peut tout se permettre : jurer de mater la Chine et de « sauver » TikTok, se moquer de la grâce du fils Biden et placer tous ses proches à des postes clés. Parce qu’il venge une part non négligeable d’Américains qui se sentent menacés par l’immigration et la concurrence, las des guerres, et peut-être plus encore de l’irrationalité des sermons woke et des étudiants qui chantent pour le Hamas.
Bien que grotesque, Trump a réussi les accords d’Abraham, promis « l’enfer » au Hamas pour obtenir le retour des otages et un cessez-le-feu. Même s’il est fasciné par la Russie, il mettra la pression nécessaire sur Poutine et Zelensky pour passer de la guerre à la trêve. Avec lui, une négociation peut servir la marche du monde ou celle des tyrans. Tout dépend du deal, public ou privé, qu’il obtient. Mais son public a l’impression de sortir de l’immobilisme ou du convenu. Et parfois, c’est vrai. À travers lui, c’est la loi du plus fort et de l’ultralibéralisme qui revient en force. Comme pour corriger l’excès de prudence passive qui affaiblit nos démocraties.
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°167, 22 janvier 2025
January 15, 2025
Laïcité déboussolée
On s’émeut à juste titre du féminisme à géométrie variable d’une certaine gauche. Ou de la voir hurler contre les crèches, mais jamais contre l’abaya. Pourtant, c’est la droite catholique qui bat des records en matière de laïcité à géométrie variable : en sens inverse. Vent debout contre le voile à l’école, elle a passé Noël à défendre les crèches en mairie. On a beau venir de Provence et aimer cette tradition, il est évident que, contrairement à une crèche pastorale, la présence de Jésus viole la loi de 1905 et son article 28 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit. » Ceux qui ne voient pas le problème doivent se demander ce qu’ils répondront le jour où un maire musulman, ou LFI, apposera un immense croissant vert à l’entrée de cette maison commune pour célébrer l’Aïd… Ils ne pourront plus invoquer la Séparation puisqu’ils l’auront eux-mêmes violée.
C’est le principe même de la laïcité : elle est forte si elle s’applique à tous, et donc à tous les signes religieux. C’est le cas à l’école publique depuis 2004. Et nous avons déjà un mal de chien à le faire comprendre à la nouvelle génération. Au lieu de renforcer les moyens de cette pédagogie, la droite catholique semble désireuse de placer sa rentrée sous le signe d’une nouvelle interdiction. Bruno Retailleau envisage d’étendre cette loi de 2004 aux accompagnantes scolaires voilées. En les considérant non plus comme des « parents » mais comme des « agents » du service public. C’est un vieux serpent de mer, retoqué par le Conseil d’État. Des laïques, dont je suis, s’y refusent depuis des années, car c’est faciliter la propagande frériste, en réalité. À la minute où cet interdit serait voté, les écoles se couvriront de comités « pour les mamans voilées ». Et ils auront du succès. Comment faire aimer la laïcité à des élèves si leur mère ou la mère de leurs copains se voient interdites d’accompagner une sortie scolaire ? C’est indéfendable. Mieux vaut consolider l’équilibre actuel, fait de discipline et de liberté.
À l’école, les futurs citoyens font l’effort de ne pas être assignés à leur religion le temps d’apprendre deux piliers de la citoyenneté (la laïcité et l’égalité hommes-femmes), mais une fois adulte chacun fait ce qu’il veut dans la rue (en dehors d’être nu ou de porter une tenue masquant l’identité) ou au travail – à moins d’un règlement contraire ou de représenter l’État et le service public. Tenter d’apparenter ces parents volontaires à des « collaborateurs » de service public ne tient pas. Ces mères ne sont pas payées, ce n’est pas un emploi. Les priver du droit d’accompagner des sorties comme les autres parents accréditerait l’idée d’une laïcité discriminatoire et cruelle. Nous avons mieux à faire. Surveiller que ce volontariat ne s’accompagne pas de prosélytisme, protéger l’école de l’influence intégriste et lutter contre la peur d’enseigner l’esprit critique. C’est le vrai combat si l’on veut, sincèrement, défendre la laïcité.
Caroline Fourest, Franc-Tireur, 15/1/25
January 8, 2025
Dix ans de plomb
Dix ans. Dix ans à se battre pour qu’on ne crache pas sur les tombes de Charlie. À ferrailler contre les « oui mais », et les « ils l’ont bien cherché ». Dix ans passés à contrer les inversions accusatoires, ce renversement du mal et du monde. Avec ou sans protection policière. Avec aux basques tous ceux qui ont intérêt à brouiller l’alerte pour déguiser leur lâcheté en courage, fous de la foi ou charlots de mauvaise foi. Ce sont les pires. La gauche autruche et ses croquemorts. Comme les fanatiques cherchent la gloire, les fatwas médiatiques s’ajoutent aux menaces et vous désignent comme cibles. Alors que vous vous battez pour préserver la liberté de la presse ou de penser, ils vous tirent dans le dos, cachés derrière des sacs de sable, depuis la presse ou l’Université. En vous traitant de « menteuse » quand vous dites vrai, d’« islamophobe » ou d’« extrême droite », alors que vous êtes à l’opposé.
Pour moi, ces années comptent double. Dix ans avant l’attentat, je bataillais déjà contre Tariq Ramadan, l’infiltration des Frères musulmans, le mot « islamophobie » et la tentation obscurantiste d’une certaine gauche. C’est même pour cette raison que Philippe Val nous avait engagées à Charlie, Fiammetta Venner et moi. La violence des campagnes que nous avons encaissée est indescriptible. Le pire est de réaliser qu’elles ont redoublé après… Après l’attentat du 7 janvier 2015. Leurs tombes fumaient encore qu’il nous fallait slalomer entre les balles et les crachats.
Tout est bon pour briser l’esprit Charlie et le décrire comme « zombie ». Le plus pervers est sans doute d’invoquer l’insouciance beauf d’Hara-Kiri ou du premier Charlie pour cogner sur le Charlie Hebdo forgé par Val et Cabu. D’en parler comme d’un totalitarisme pire que l’islamisme. Le plus douteux est de voir l’écho que peut prendre le moindre délire, digne de l’antimaçonnisme, sur le Printemps républicain, ce courant qui a simplement tenté de défendre la gauche laïque ! Le plus pénible est d’encaisser les saillies compulsives d’excités nous traitant d’« islamophobes » et de « génocidaires », juste parce que nous tenons tête à l’islamisme et à l’antisémitisme. Le plus tragique est de constater que grâce à Jean-Luc Mélenchon, qui ne pleure plus Charb, ils sont devenus députés. Et qu’ils crachent désormais sur leurs tombes depuis l’Assemblée. Le plus inquiétant est de savoir que cette France insoumise (sauf à l’islamisme) a tant de relais chez les jeunes journalistes et les jeunes enseignants… Et qu’au lieu de nous aider à transmettre l’esprit Charlie aux plus jeunes, elle et ses gardes-chiourme fossoient la relève. Le plus angoissant est de constater qu’à force d’être dégoûtés par ces dégoûtants, nombre de vigilants finissent par céder à la haine, par rejoindre l’extrême droite pour de vrai. Coincés entre les loups et les autruches, il nous reste peu d’oxygène pour respirer.
Mais encore du souffle, une immense majorité de Français favorables au droit de blasphémer, et ce journal pour vous le crier. L’esprit Charlie n’est pas mort. Il résiste encore.
Caroline Fourest, Franc-Tireur, 8/1/25
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