Munich 2.0
C’est un tournant. Un frisson glacé a parcouru l’échine des participants à la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité. J. D. Vance, le nouveau vice-président américain, ne s’y est rendu que pour sermonner les Européens : « La menace qui m’inquiète le plus pour l’Europe n’est pas la Russie, ni la Chine, ni aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace qui vient de l’intérieur. Le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs. » De quelle « menace » parle-t-il ? De la régulation des réseaux sociaux !
L’ambassadeur de Musk a passé l’essentiel de son discours sur la sécurité mondiale à s’en alarmer. Ce n’est pas si nouveau. Au nom du premier amendement, les États-Unis, qui n’ont jamais su faire la différence entre incitation à la haine et liberté d’expression, nous ont maintes fois épinglés pour nos lois sanctionnant le négationnisme ou Dieudonné, tout en menant la guerre à notre liberté de blasphémer ou d’offenser. Les voilà passés du wokisme au muskisme, en réaction. Leur impérialisme culturel continue, mais il a changé de priorités, à 180 degrés. Les régulations qui choquent Vance ? La « Commission européenne », qui sanctionne en cas de « contenu haineux », la condamnation d’« un militant chrétien pour avoir participé à l’autodafé d’un Coran en Suède, et d’un autre en Angleterre pour avoir prié sur le chemin d’un centre IVG en violation de la loi qui protège leur périmètre »… Des exemples choisis pour feindre de défendre la liberté de tout dire. Vance omet de préciser que Musk tripatouille l’algorithme de X pour s’assurer que certaines opinions sont survalorisées et d’autres, qui lui déplaisent, confinées.
La « leçon » est encore plus inquiétante en matière de sécurité. Si le vice-président américain n’a pas annoncé la fin de l’Otan, il a bien annoncé le début du désengagement des États-Unis de l’Alliance atlantique, l’une des obsessions de Trump depuis son voyage à Moscou en 1987. Son vice-président a beau parler de lui comme d’« un nouveau shérif » : sous Trump, l’Amérique renonce à être le gendarme du monde. Ce qui réjouit les tyrans. Douguine, le cerveau malade de Poutine, imagine déjà partager les restes de l’Europe entre une « Grande Amérique » et une « Grande Russie », prédit même « une alliance entre la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump » (la seconde imitant la première, selon lui) et la fin de l’Occident.
C’est bien ce qu’annonce ce Munich 2.0. Lorsqu’un vice-président américain regrette que les élections en Roumanie soient annulées à cause des ingérences russes… au lieu de regretter ces ingérences ! Juste après son discours, il est allé soutenir Alice Weidel, la cheffe de l’AfD, un parti nostalgique du nazisme et prorusse (voir notre enquête). Un acte d’une déloyauté et d’une ingérence inouïes de la part d’un allié. Mais il faut s’y résoudre : les États-Unis ne sont plus nos alliés, juste un prédateur de plus. Dans ce règne animal, celui du « chacun pour soi », l’Europe fait figure de proie. Soit elle montre les crocs, et elle tiendra. Soit elle se divise, et elle finira dépecée. Sursis ou sursaut ?
Caroline Fourest, Franc-tireur, n°171, 19 février 2024
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