Laïcité déboussolée
On s’émeut à juste titre du féminisme à géométrie variable d’une certaine gauche. Ou de la voir hurler contre les crèches, mais jamais contre l’abaya. Pourtant, c’est la droite catholique qui bat des records en matière de laïcité à géométrie variable : en sens inverse. Vent debout contre le voile à l’école, elle a passé Noël à défendre les crèches en mairie. On a beau venir de Provence et aimer cette tradition, il est évident que, contrairement à une crèche pastorale, la présence de Jésus viole la loi de 1905 et son article 28 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit. » Ceux qui ne voient pas le problème doivent se demander ce qu’ils répondront le jour où un maire musulman, ou LFI, apposera un immense croissant vert à l’entrée de cette maison commune pour célébrer l’Aïd… Ils ne pourront plus invoquer la Séparation puisqu’ils l’auront eux-mêmes violée.
C’est le principe même de la laïcité : elle est forte si elle s’applique à tous, et donc à tous les signes religieux. C’est le cas à l’école publique depuis 2004. Et nous avons déjà un mal de chien à le faire comprendre à la nouvelle génération. Au lieu de renforcer les moyens de cette pédagogie, la droite catholique semble désireuse de placer sa rentrée sous le signe d’une nouvelle interdiction. Bruno Retailleau envisage d’étendre cette loi de 2004 aux accompagnantes scolaires voilées. En les considérant non plus comme des « parents » mais comme des « agents » du service public. C’est un vieux serpent de mer, retoqué par le Conseil d’État. Des laïques, dont je suis, s’y refusent depuis des années, car c’est faciliter la propagande frériste, en réalité. À la minute où cet interdit serait voté, les écoles se couvriront de comités « pour les mamans voilées ». Et ils auront du succès. Comment faire aimer la laïcité à des élèves si leur mère ou la mère de leurs copains se voient interdites d’accompagner une sortie scolaire ? C’est indéfendable. Mieux vaut consolider l’équilibre actuel, fait de discipline et de liberté.
À l’école, les futurs citoyens font l’effort de ne pas être assignés à leur religion le temps d’apprendre deux piliers de la citoyenneté (la laïcité et l’égalité hommes-femmes), mais une fois adulte chacun fait ce qu’il veut dans la rue (en dehors d’être nu ou de porter une tenue masquant l’identité) ou au travail – à moins d’un règlement contraire ou de représenter l’État et le service public. Tenter d’apparenter ces parents volontaires à des « collaborateurs » de service public ne tient pas. Ces mères ne sont pas payées, ce n’est pas un emploi. Les priver du droit d’accompagner des sorties comme les autres parents accréditerait l’idée d’une laïcité discriminatoire et cruelle. Nous avons mieux à faire. Surveiller que ce volontariat ne s’accompagne pas de prosélytisme, protéger l’école de l’influence intégriste et lutter contre la peur d’enseigner l’esprit critique. C’est le vrai combat si l’on veut, sincèrement, défendre la laïcité.
Caroline Fourest, Franc-Tireur, 15/1/25
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