Dix ans de plomb

Dix ans. Dix ans à se battre pour qu’on ne crache pas sur les tombes de Charlie. À ­ferrailler contre les « oui mais », et les « ils l’ont bien cherché ». Dix ans passés à contrer les inversions accusatoires, ce renversement du mal et du monde. Avec ou sans protection policière. Avec aux basques tous ceux qui ont intérêt à brouiller l’alerte pour déguiser leur lâcheté en courage, fous de la foi ou charlots de mauvaise foi. Ce sont les pires. La gauche autruche et ses croquemorts. Comme les fanatiques cherchent la gloire, les fatwas médiatiques s’ajoutent aux menaces et vous désignent comme cibles. Alors que vous vous battez pour préserver la liberté de la presse ou de penser, ils vous tirent dans le dos, cachés derrière des sacs de sable, depuis la presse ou l’Université. En vous traitant de « menteuse » quand vous dites vrai, d’« islamophobe » ou d’« extrême droite », alors que vous êtes à l’opposé. 

Pour moi, ces années comptent double. Dix ans avant ­l’attentat, je bataillais déjà contre Tariq Ramadan, l’infiltration des Frères musulmans, le mot « islamophobie » et la tentation obscurantiste d’une certaine gauche. C’est même pour cette raison que Philippe Val nous avait engagées à Charlie, Fiammetta Venner et moi. La violence des campagnes que nous avons encaissée est indescriptible. Le pire est de réaliser qu’elles ont redoublé après… Après l’attentat du 7 janvier 2015. Leurs tombes fumaient encore qu’il nous fallait slalomer entre les balles et les crachats. 

Tout est bon pour briser l’esprit Charlie et le décrire comme « zombie ». Le plus pervers est sans doute d’invoquer l’insouciance beauf d’Hara-Kiri ou du premier Charlie pour cogner sur le Charlie Hebdo forgé par Val et Cabu. D’en parler comme d’un totalitarisme pire que l’islamisme. Le plus douteux est de voir l’écho que peut prendre le moindre délire, digne de l’antimaçonnisme, sur le Printemps républicain, ce courant qui a simplement tenté de défendre la gauche laïque ! Le plus pénible est d’encaisser les saillies compulsives d’excités nous traitant d’« islamophobes » et de « génocidaires », juste parce que nous tenons tête à l’islamisme et à l’antisémitisme. Le plus tragique est de constater que grâce à Jean-Luc Mélenchon, qui ne pleure plus Charb, ils sont devenus députés. Et qu’ils crachent désormais sur leurs tombes depuis l’Assemblée. Le plus inquiétant est de savoir que cette France insoumise (sauf à l’islamisme) a tant de relais chez les jeunes journalistes et les jeunes enseignants… Et qu’au lieu de nous aider à transmettre l’esprit Charlie aux plus jeunes, elle et ses gardes-chiourme ­fossoient la relève. Le plus angoissant est de constater qu’à force d’être dégoûtés par ces dégoûtants, nombre de vigilants finissent par céder à la haine, par rejoindre l’extrême droite pour de vrai. Coincés entre les loups et les autruches, il nous reste peu d’oxygène pour respirer. 

Mais encore du souffle, une immense majorité de Français favorables au droit de ­blasphémer, et ce journal pour vous le crier. L’esprit Charlie n’est pas mort. Il résiste encore. 

Caroline Fourest, Franc-Tireur, 8/1/25

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Published on January 08, 2025 06:00
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